Et si Hermetia illucens, la mouche soldat noire était LA solution pour réduire nos déchets organiques, limiter le gaspillage alimentaire et révolutionner le marché de l’alimentation animale ? Micro-enquête chez une larve de mouche de cette espèce originaire des zones subtropicales du continent américain qui, sans le savoir, fait de l’écologie industrielle.
Les chiffres divergent selon les sources mais le gisement, lui, est pantagruélique ! Si l’on se fie en effet à Eurostat (1) (qui additionne les déchets des ménages aux déchets des collectivités et enfin les déchets de certaines activités économiques), on arrive à 536 kg de déchets organiques par an et par habitant. Vertigineux !
En France, la gestion séparée des déchets organiques semble être la solution d’avenir. Elle est souhaitée par le législateur, encouragée par l’Ademe (2) et plébiscitée par les collectivités. Entre autres avantages, elle permet de limiter le recours à l’incinération et à l’enfouissement tout en produisant de l’énergie d’origine renouvelable (via la méthanisation) et du compost.
Mission commando
Cependant, une larve de mouche pourrait remettre en question ce plan bien huilé et se tailler la part du lion de ce marché du déchet vert ultime. Son nom : Black soldier fly. Sa technique de combat : un appétit quasi illimité pour les déchets organiques. Du moins sa larve. Car une fois adulte, Black soldier fly a pour particularité de ne plus se nourrir.
Le procédé est d’une simplicité déconcertante mais d’une efficacité redoutable. On place des larves de mouche soldat noir dans un bioréacteur contenant une « soupe » à bases de déchets organiques (par exemple des fruits ou des légumes déclassés) et les larves font le reste. Elles vont dégrader méthodiquement les nutriments présents dans les matières organiques pour les métaboliser en protéines et en matières grasses. Un concentré d’écologie industrielle in vivo !
Fertilisant bio, protéines et matériaux biosourcés
Bilan de l’opération, à l’autre bout du tuyau, on récupère un substrat (à base de déjection) qui peut être valorisé comme amendement agronomique autrement dit un fertilisant bio qui peut-être réutilisé dans les cultures.
Le rendement est plus qu’intéressant : 1 kg d’œufs de mouche soldat noir génère en moyenne 10 tonnes de larves vivantes et permet d’éliminer de 40 à 50 tonnes de déchets alimentaires. En 10 jours seulement ! Pour atteindre le même résultat en compostage, il faudrait 3 à 4 mois…
Sans parler des co-produits. Également valorisables. Cette nouvelle filière permet en effet de produire des protéines animales et des huiles d’insectes qui peuvent être utilisées en nutrition animale et se substituer, par exemple, aux farines de poisson en pisciculture.
Petits soldats de l’écologie industrielle
Cette découverte n’est pas passée inaperçue aux yeux des professionnels du secteur des déchets. Depuis, les années 2010, la filière se structure. Des « farms » éclosent un peu partout à travers le monde et notamment en Asie, aux États-Unis et en Afrique du Sud. En France, des projets de construction d’unité de bioproduction, à proximité des gisements, sont à l’étude.
Il faut dire que cette technique alternative de valorisation des matières organiques via l’entomoculture est particulièrement prometteuse car en plus d’être une réponse au gaspillage alimentaire (88 millions de tonnes à l’échelle européenne), elle offre de nouvelles perspectives en terme de valorisation des déchets organiques et ce, en complément des solutions actuelles de méthanisation et de compostage.
Un marché d’1 milliard de dollars
Par ailleurs, les protéines, acides gras et nutriments d’insectes ainsi produits constituent des compléments alimentaires aux propriétés particulièrement intéressantes : bonne teneur en fibre, risque allergénique réduit, etc. Pour un bilan environnemental convainquant : la culture d’insectes consomme en effet peu de ressources et est faiblement émettrice en gaz à effet de serre.
L’industrialisation de ce procédé pourrait voir le jour début 2018 en France. La startup NextAlim près de Poitiers a ainsi levé près de 10 M d’euros pour développer ce projet. Mais ce n’est pas la seule et la compétition s’annonce rude.
Les spécialistes, eux, estiment le potentiel de cette nouvelle filière à près d’1 milliard de dollars, dès 2022. L’Europe, elle, a ouvert la voie depuis juillet dernier puisqu’elle autorise l’utilisation de farines à base d’insectes pour l’alimentation des poissons d’élevage.
Et quand on sait que la demande mondiale en protéines devrait croître de 40 % d’ici 2030, il y a fort à parier que Black Soldier Fly n’a pas fini de faire des petits !
C’est quoi l’entomoculture ?
L’entomoculture ou l’élevage d’insectes. Plus qu’un passe-temps pour amateur ou un sujet d’étude pour scientifique en mal de découverte, l’entomoculture est aujourd’hui une véritable activité commerciale mais pas encore tout à fait comme les autres. Ses applications, directes ou indirectes semblent infinies quand elles ne sont pas insoupçonnées : protection des cultures, lutte contre les ravageurs, alimentation humaine et animale, intérêt pharmaceutique, extraction d’huile et production de biodiesel, etc. Un modèle en matière d’économie circulaire !
(1) Direction générale de la Commission européenne chargée de l’information statistique à l’échelle communautaire.(2) Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie